Si la pomme de terre est aujourd’hui un aliment incontournable des assiettes mondiales, son origine évolutive est tout sauf banale. Une étude internationale publiée dans Cell le 31 juillet 2025 révèle que la pomme de terre moderne (Solanum tuberosum) est née d’un événement d’hybridation ancienne, survenu il y a environ 8 à 9 millions d’années, entre deux espèces sud-américaines proches du tomate et d’un groupe appelé Etuberosum, qui lui ressemble physiquement… mais ne produit aucun tubercule.
Pourquoi c’est important
La pomme de terre fait partie des quatre cultures principales qui assurent près de 80 % des apports caloriques mondiaux avec le blé, le riz et le maïs. Elle est également riche en nutriments essentiels et en fibres, et représente une source d’énergie durable pour les régimes alimentaires à grande échelle. Comprendre son origine biologique permet d’éclairer la valeur nutritionnelle, écologique et adaptative de ce végétal, ainsi que de mieux cerner ses liens avec la biodiversité agricole.
Une fusion improbable à l’origine d’une structure unique
Grâce à l’analyse de 450 génomes de pommes de terre cultivées et 56 espèces sauvages apparentées, les chercheurs menés par le Dr Sanwen Huang (Chinese Academy of Agricultural Sciences) ont démontré que toutes les pommes de terre étudiées possèdent un mélange génétique stable issu des lignées tomate et Etuberosum.
Deux gènes clés ont été identifiés dans ce processus :
- SP6A : un « interrupteur génétique » venu du côté tomate, qui active la production du tubercule.
- IT1 : un gène hérité d’Etuberosum, qui régule le développement des tiges souterraines à l’origine du tubercule.
La combinaison de ces deux gènes a rendu possible l’émergence du tubercule souterrain — un organe de stockage vital, qui offre des avantages adaptatifs majeurs.
Un tournant évolutif lié à l’ascension des Andes
L’apparition de ce tubercule coïncide avec l’élévation rapide de la cordillère des Andes, créant de nouveaux écosystèmes difficiles : froids, secs, en altitude. Le tubercule a permis aux premières pommes de terre de survivre à ces conditions, en stockant de l’énergie en profondeur et en assurant une reproduction végétative sans dépendance à la floraison ou à la pollinisation.
Résultat : une expansion rapide, une diversification génétique marquée, et une spéciation accélérée dans toute l’Amérique centrale et du Sud. On compte aujourd’hui plus de 100 espèces sauvages apparentées au tubercule.
Applications et perspectives en santé publique
Pour les professionnels de santé, ce type de recherche enrichit notre compréhension :
- de la biodiversité alimentaire : les pommes de terre cultivées n’expriment qu’une fraction de la diversité génétique disponible.
- de l’impact évolutif de certains aliments sur la résilience nutritionnelle des populations dans des contextes climatiques extrêmes.
- des stratégies de sécurité alimentaire, en particulier face aux enjeux liés au réchauffement climatique et à la durabilité des cultures de base.
Cette étude rappelle que l’histoire évolutive d’un aliment influence encore aujourd’hui ses usages, ses bénéfices nutritionnels et son potentiel d’adaptation.
Conclusion :
Loin d’être une simple culture de rente, la pomme de terre est le fruit d’un événement évolutif rare — un croisement ancien entre deux espèces incapables, seules, de produire un tubercule. Cette innovation génétique a déclenché une explosion de diversité végétale, et a posé les bases d’un aliment qui nourrit aujourd’hui des milliards d’êtres humains. Un tubercule, oui — mais aussi un chef-d’œuvre de biologie adaptative.
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