Introduction
Les compléments alimentaires sont aujourd’hui largement utilisés pour soutenir la santé, en particulier dans le cadre de la prévention cardiovasculaire, de la gestion de l’inflammation ou de la régulation du cholestérol. Oméga-3, stérols végétaux, levure de riz rouge ou encore fibres solubles sont autant de substances naturelles promues pour leurs effets bénéfiques. Pourtant, malgré des mécanismes d’action similaires, les réponses individuelles à ces compléments varient considérablement d’un sujet à l’autre.
Si des facteurs comme l’alimentation, l’activité physique, l’âge ou le microbiote intestinal jouent un rôle, la génétique apparaît de plus en plus clairement comme un déterminant majeur de cette variabilité. Ce lien entre patrimoine génétique et métabolisme des nutriments ouvre la voie à une nouvelle discipline : la nutrigénomique, ou nutrition de précision.
Oméga-3 et polymorphismes génétiques : une réponse individuelle marquée
Les acides gras oméga-3 à longue chaîne (EPA et DHA), principalement issus de l’huile de poisson, sont reconnus pour leurs effets anti-inflammatoires et leur capacité à abaisser les triglycérides sanguins. Toutefois, des différences génétiques dans les enzymes impliquées dans leur métabolisme modifient leur efficacité.
Les gènes FADS1, FADS2 (Fatty Acid Desaturase) et ELOVL2 (Elongation of Very Long Chain Fatty Acids) jouent un rôle central dans la conversion des acides gras précurseurs en EPA et DHA actifs. Des variants génétiques (ou polymorphismes) au niveau de ces gènes peuvent réduire la capacité de synthèse ou de transport des oméga-3, entraînant des taux plasmatiques plus faibles malgré une supplémentation identique.
Ainsi, deux individus prenant une même dose d’oméga-3 peuvent obtenir des résultats biologiques très différents, ce qui soulève la nécessité d’adapter la dose ou la source (animale vs. végétale) en fonction du profil génétique.
Stérols végétaux, cholestérol et le rôle clé du gène ApoE
Les stérols végétaux sont des composés naturels capables de réduire l’absorption intestinale du cholestérol et, par conséquent, d’abaisser les taux de cholestérol LDL (« mauvais cholestérol »). Leur mécanisme repose sur une compétition avec le cholestérol au niveau des micelles intestinales, ce qui diminue la quantité de cholestérol disponible pour l’absorption.
Cependant, des études ont démontré que l’efficacité de cette stratégie dépend fortement du génotype de l’individu, notamment au niveau du gène ApoE (apolipoprotéine E). Ce gène, qui code pour une protéine impliquée dans le transport et le métabolisme des lipoprotéines, possède plusieurs allèles (E2, E3, E4) dont les effets sur le cholestérol sont bien documentés.
Par exemple, les porteurs de l’allèle ApoE4, associés à un risque cardiovasculaire accru, semblent bénéficier davantage des effets hypocholestérolémiants des stérols végétaux que les porteurs d’autres variants. Inversement, certaines personnes avec un profil ApoE3 peuvent montrer peu de réponse à cette supplémentation.
Phytostérols, absorption intestinale et influence du gène NPC1L1
Les phytostérols, présents naturellement dans les aliments d’origine végétale ou sous forme de compléments, agissent également en réduisant l’absorption intestinale du cholestérol. Mais là encore, la génétique entre en jeu.
Le gène NPC1L1 (Niemann-Pick C1 Like 1), qui code pour une protéine de transport essentielle à l’absorption du cholestérol au niveau de l’intestin grêle, influence fortement la réponse aux phytostérols. Des variants de ce gène peuvent rendre l’absorption du cholestérol plus ou moins efficace, modulant ainsi l’impact réel des phytostérols chez un individu donné.
Certaines mutations du gène ABCG5/8, impliqué dans l’efflux des stérols, peuvent aussi conduire à une accumulation excessive de phytostérols dans l’organisme, avec un risque potentiel pour la santé cardiovasculaire (cas rares, mais documentés).
Nutrition de précision : un avenir personnalisé pour la supplémentation
L’ensemble de ces données souligne une réalité incontournable : les compléments alimentaires ne sont pas universels dans leurs effets. L’avenir de la supplémentation passe par une approche individualisée, basée sur la compréhension des interactions entre les gènes et les nutriments — une démarche que l’on désigne sous le terme de nutrigénomique.
Grâce aux avancées en génétique et aux tests de dépistage de plus en plus accessibles, il devient possible d’évaluer la réponse probable d’un individu à tel ou tel complément. Cela permettrait, à terme :
- d’optimiser l’efficacité des interventions nutritionnelles,
- d’éviter les traitements inutiles,
- de réduire le risque d’effets secondaires,
- et d’améliorer la prévention des maladies chroniques (cardiovasculaires, métaboliques, etc.).
Conclusion
La relation entre génétique et compléments alimentaires représente une avancée majeure dans le domaine de la prévention personnalisée. Loin d’un modèle unique applicable à tous, la nutrition entre désormais dans une phase de personnalisation fine, où le profil génétique joue un rôle central dans la sélection et l’efficacité des compléments.
Les exemples des oméga-3, des stérols végétaux ou des phytostérols montrent que des interventions nutritionnelles scientifiquement valables peuvent s’avérer inefficaces — voire contre-productives — chez certains profils génétiques. C’est pourquoi, dans un futur proche, l’évaluation du génotype pourrait devenir une étape incontournable avant toute recommandation nutritionnelle ou prescription de supplémentation.
Sources :
- Genes & Nutrition (2025) : Variants génétiques modifient la réponse aux oméga-3 (EPA, DHA).
- Lipids in Health and Disease (2025) : Polymorphismes FADS1/ELOVL2 influencent l’efficacité des suppléments d’huile de poisson.
- Nutrients (2024) : Le gène ApoE détermine la réduction du cholestérol LDL après stérols végétaux.
- Genes & Nutrition (2010) : Les gènes comme NPC1L1 interviennent dans la réponse aux phytostérols.
- British Journal of Nutrition (2010) : Revue des interactions entre acides gras oméga-3, variants génétiques et risque de maladies.