Vers une approche plus nuancée des comportements alimentaires
Les aliments ultra-transformés (AUT) sont fréquemment pointés du doigt dans les débats nutritionnels contemporains. Associés à des pathologies chroniques telles que l’obésité, le diabète ou encore les troubles cognitifs, ils sont souvent décrits comme des produits conçus pour induire une consommation excessive, en jouant sur les mécanismes de récompense du cerveau. Pourtant, une étude récente menée sur plus de 3 000 adultes au Royaume-Uni remet en question cette vision simpliste et propose une compréhension plus fine des comportements alimentaires.
Objectifs de l’étude
L’objectif principal était de mieux comprendre ce qui pousse les individus à aimer un aliment et, plus encore, à le surconsommer, indépendamment des signaux physiologiques de la faim. Contrairement à certaines approches centrées exclusivement sur les aspects nutritionnels ou la transformation industrielle, cette recherche s’est intéressée à la perception des aliments et à leur rôle dans la régulation (ou la dérégulation) de la prise alimentaire.
Méthodologie
Trois grandes études en ligne ont été menées auprès de la population adulte britannique. Les participants devaient évaluer plus de 400 aliments courants (sans marques apparentes) en fonction :
- de leur appréciation gustative (liking),
- de leur propension à déclencher une consommation excessive (tendance à trop manger),
- et de leurs caractéristiques perçues (sucré, gras, sain, transformé, etc.).
Les réponses ont ensuite été croisées avec :
- la composition nutritionnelle réelle des aliments (lipides, glucides, fibres, densité énergétique),
- leur classification selon le système NOVA (aliments ultra-transformés ou non),
- et les croyances subjectives associées à chaque aliment.
Résultats principaux
1. Le contenu nutritionnel est important, mais la perception l’est tout autant
Les aliments riches en calories, en matières grasses et en glucides étaient généralement plus appréciés et plus souvent associés à des comportements de suralimentation. Toutefois, la perception individuelle de l’aliment (ex. : perçu comme sucré ou très transformé) influençait fortement la probabilité de surconsommation, indépendamment de la composition réelle de l’aliment.
2. La classification « ultra-transformé » a peu de pouvoir prédictif
Une fois les variables nutritionnelles et perceptuelles intégrées dans les modèles statistiques, le label “ultra-transformé” n’expliquait qu’une part infime des comportements alimentaires :
- Moins de 2 % de la variation dans l’appréciation gustative,
- Environ 4 % dans la tendance à la surconsommation.
Cela suggère que la classification NOVA, bien qu’utile pour la recherche épidémiologique, est insuffisante pour guider les comportements individuels.
3. Les croyances façonnent les comportements alimentaires
Les aliments perçus comme sucrés, gras ou très transformés étaient plus souvent surconsommés, même si leur composition réelle ne le justifiait pas toujours. À l’inverse, les aliments perçus comme amers ou riches en fibres freinaient la consommation, indépendamment de leur goût réel.
Limites de la classification NOVA et implications politiques
L’étude suggère que la diabolisation des AUT dans leur globalité peut être contre-productive. Tous les aliments ultra-transformés ne sont pas néfastes : certains produits enrichis ou pratiques (ex. : substituts végétaux, barres protéinées, plats équilibrés prêts à consommer) peuvent répondre à des besoins spécifiques (personnes âgées, régimes restrictifs, mobilité réduite, etc.).
Imposer des restrictions généralisées sur la base du seul statut « ultra-transformé » pourrait exclure des aliments utiles, créer de la confusion et réduire l’efficacité des messages de santé publique.
Recommandations pour une approche plus personnalisée
Les auteurs proposent plusieurs pistes d’intervention à considérer dans les politiques nutritionnelles et les stratégies cliniques :
- Renforcer l’éducation nutritionnelle
→ Aider les individus à mieux comprendre leurs propres déclencheurs de surconsommation (émotions, habitudes, contextes sociaux). - Reformuler les produits avec discernement
→ Concevoir des aliments à la fois satisfaisants sur le plan sensoriel et équilibrés sur le plan nutritionnel, plutôt que d’opposer plaisir et santé. - Reconnaître la complexité des motivations alimentaires
→ Prendre en compte les dimensions affectives, sociales et culturelles de l’alimentation dans les conseils cliniques.
Conclusion
Cette étude souligne l’importance de ne pas réduire les comportements alimentaires à la simple transformation industrielle des produits. Si certains AUT méritent une vigilance accrue en raison de leur densité calorique, de leur faible valeur nutritionnelle et de leur marketing agressif, le facteur déterminant dans la surconsommation reste un mélange complexe de perceptions, de préférences, et de motivations individuelles.
Pour les professionnels de santé, cela implique de dépasser les catégories simplistes et de promouvoir une approche plus nuancée, centrée sur le comportement et les besoins spécifiques des patients. Comprendre ce que les individus ressentent face aux aliments peut s’avérer aussi important que ce qu’ils mangent réellement.
Source :
« Prédicteurs alimentaires de l’attrait auto-rapporté et de l’hyperphagie hédonique : replacer les aliments ultra-transformés dans leur contexte », par Graham Finlayson, Rebecca Allen, Angelika Baaij, Kristine Beaulieu, Nicola J. Buckland, Clarissa Dakin, Michelle Dalton, Ruairi O’Driscoll, Cristiana Duarte, Catherine Gibbons, Mark Hopkins, Graham Horgan et R. James Stubbs, 26 avril 2025, Appetite.
DOI : 10.1016/j.appet.2025.108029