Les vitamines du groupe B, souvent reléguées au second plan dans les discussions médicales grand public, méritent une attention particulière de la part des professionnels de la santé. Des recherches émergentes, notamment celles menées par les équipes de l’Université Tufts (Boston, USA), révèlent que les carences en vitamines B—en particulier la B12 et l’acide folique (B9)—peuvent contribuer de manière insidieuse à la détérioration cognitive, aux maladies cardiovasculaires, et à d’autres pathologies chroniques.
Métabolisme à un carbone : une voie clé
Les vitamines B12, B9, B6 et B2 participent activement au métabolisme à un carbone, un ensemble de voies biochimiques interconnectées essentielles à la synthèse de l’ADN, à la méthylation, au métabolisme des acides aminés et à la réparation cellulaire. Leur rôle est si interdépendant qu’il est difficile de les étudier de manière isolée.
Le Pr Joel Mason, gastroentérologue et chercheur senior au Jean Mayer USDA Human Nutrition Research Center on Aging, souligne que quatre de ces vitamines agissent en tant que cofacteurs dans des processus cellulaires fondamentaux. Leur impact s’étend au-delà de la nutrition, avec des implications directes sur la santé cérébrale et vasculaire.
Vitamine B12, Folate et Santé Cognitive
Avec l’âge, notamment après 75 ans, près de 40 % des individus développent une diminution de l’absorption de la B12 liée à la nourriture. Cette carence, souvent silencieuse, entraîne une dégradation des fonctions nerveuses, favorisant les troubles cognitifs et certaines formes de démence. Le Pr Irwin Rosenberg rappelle que de nombreuses atteintes neurologiques passent inaperçues en raison de diagnostics fondés uniquement sur des dosages plasmatiques standards de B12, alors que 80 % de la B12 circulante peut être biologiquement inactive.
Pour affiner le diagnostic, il recommande l’utilisation de marqueurs métaboliques :
- L’acide méthylmalonique (MMA) : augmente dès les premiers stades de carence en B12.
- L’homocystéine : également influencée par la B9. L’élévation conjointe des deux marqueurs suggère fortement une carence en B12.
Ces déficiences, lorsqu’elles sont identifiées à temps, peuvent être réversibles, contrairement aux dégénérescences associées aux maladies neurodégénératives avancées. Des études cliniques telles que VITACOG ou FACT ont démontré qu’une supplémentation adéquate en vitamines B pouvait ralentir l’atrophie cérébrale et améliorer les performances cognitives chez les patients à risque.
Interaction entre Folates et B12
Une autre problématique mise en évidence est l’interaction entre des taux élevés de folates (notamment sous forme d’acide folique synthétique) et des carences en B12. Historiquement, des traitements à base de folate ont masqué des carences sévères en B12, aggravant ainsi les troubles neurologiques.
Les chercheurs de Tufts examinent actuellement les effets du folate sur les différentes formes de B12, notamment la holo-transcobalamine (holoTC), la forme biologiquement active. Ces études visent à déterminer comment une supplémentation déséquilibrée peut compromettre l’utilisation correcte de la B12 par les cellules.
Risque Cardiovasculaire, AVC et Homocystéine
Les vitamines B6, B12 et B9 sont également impliquées dans le métabolisme de l’homocystéine, un acide aminé dont l’élévation est associée à un risque accru d’AVC, de démence vasculaire et, dans une moindre mesure, de maladie coronarienne.
Si les essais cliniques des années 1980-2000 ont montré des effets limités des vitamines B sur la réduction des infarctus du myocarde, ils ont confirmé un effet modeste mais significatif sur la réduction des AVC. Par ailleurs, la riboflavine (B2) a montré une efficacité notable dans la réduction de la pression artérielle chez les porteurs du polymorphisme MTHFR 677 TT, révélant un potentiel de médecine personnalisée.
Inflammation chronique et B6
Enfin, la vitamine B6 émerge comme un régulateur potentiel de l’inflammation chronique, mécanisme transversal impliqué dans de nombreuses maladies dégénératives. Des études préliminaires sur modèles animaux et chez l’humain suggèrent qu’une supplémentation contrôlée en B6 pourrait contribuer à limiter les processus inflammatoires sous-jacents.
Attention cependant : la B6 peut devenir neurotoxique à des doses élevées. Toute supplémentation doit être encadrée médicalement.
Recommandations Cliniques
- Intégrer le dosage de la B12 active (holoTC), de la MMA et de l’homocystéine dans le bilan initial de tout patient présentant des signes de déclin cognitif ou de troubles neurologiques inexpliqués.
- Ne pas se fier uniquement aux dosages plasmatiques standards de B12 ou de folates.
- Envisager une supplémentation préventive modérée en vitamines B chez les personnes âgées ou à risque, en particulier dans un contexte de polymédication ou de chirurgie gastro-intestinale antérieure (ex. : chirurgie bariatrique).
- Sensibiliser les professionnels à l’impact vasculaire et neurologique des carences subcliniques en B12, souvent négligées au profit de diagnostics plus complexes.
Conclusion
À l’heure où les traitements pharmacologiques de la démence restent coûteux, peu accessibles, et parfois décevants, les vitamines B offrent une voie de prévention simple, peu coûteuse et potentiellement efficace. Elles méritent une place bien plus centrale dans l’arsenal clinique, tant pour la prévention que pour la détection précoce des troubles cognitifs.
Il est peut-être temps de réévaluer la place de la nutrition dans le diagnostic différentiel du vieillissement cérébral.
Source :
Tufts Now : article publié le 23 juillet 2025 par Tufts University intitulé « How B Vitamins Can Affect Brain and Heart Health ». Il explique en détail comment les huit vitamines du complexe B peuvent influencer la démence, la santé cardiovasculaire, et d’autres fonctions essentielles. Il cite notamment Joel Mason et Irwin H. Rosenberg sur les interactions dans le métabolisme à un carbone, les déficiences en B12 et folate—ainsi que l’intérêt des marqueurs MMA et homocystéine, et les essais cliniques VITACOG et FACT