À destination des professionnel·le·s de la santé
Lors du congrès annuel de l’American Society for Nutrition, qui s’est tenu en juin dernier à Orlando (Floride), un consensus a émergé parmi les chercheurs : pour améliorer la santé nutritionnelle de la population, il est peut-être temps de changer de paradigme. Plutôt que d’insister sur ce qu’il faut éviter ou supprimer, les experts proposent de mettre l’accent sur ce qu’il faut ajouter à l’assiette.
Cette approche vise à améliorer l’adhésion aux recommandations nutritionnelles en valorisant une alimentation plus accessible, plus positive et moins culpabilisante. En somme, une alimentation qui donne envie d’être suivie.
Des recommandations claires, mais peu suivies
Malgré des recommandations largement diffusées, la consommation de fruits, légumes, fibres et légumineuses reste très insuffisante. En 2022, seulement 10 % des adultes américains atteignaient les apports recommandés en fruits et légumes (soit environ 3,5 tasses par jour). Ce déficit est préoccupant, notamment en raison de ses implications sur l’apport en fibres, un nutriment essentiel mais négligé.
Les apports recommandés en fibres (22 à 34 g/jour selon l’âge et le sexe) sont loin d’être atteints : la moyenne nationale avoisine à peine les 15 g. Ce déficit contribue à l’augmentation des risques de maladies cardiovasculaires, de diabète de type 2, de troubles digestifs et de certains cancers.
Une approche fondée sur l’ajout nutritionnel
La Dr Jaclyn Albin, spécialiste en médecine culinaire à l’UT Southwestern Medical Center, souligne que l’éducation nutritionnelle a trop longtemps été centrée sur les interdits. Il serait plus efficace, selon elle, de guider les patients vers l’intégration active d’aliments bénéfiques, tels que :
- Les fruits et légumes frais
- Les légumineuses (lentilles, pois chiches, haricots)
- Les céréales complètes
- Les noix et graines
- Les aliments riches en fibres et pauvres en sucres ajoutés
Cette approche, fondée sur la densité nutritionnelle, permet d’aborder la nutrition comme une opportunité plutôt qu’une contrainte. Elle s’inscrit aussi dans la perspective des futures recommandations alimentaires américaines (2025–2030), qui pourraient notamment mettre davantage l’accent sur la consommation de légumineuses et sur la réduction des viandes rouges et transformées.
L’enjeu de l’éducation culinaire
Cependant, l’accès ne suffit pas. Encore faut-il savoir cuisiner ces aliments. L’insécurité alimentaire croissante complique davantage la situation. En 2023, près de 50 millions d’Américains vivaient dans un foyer en situation d’insécurité alimentaire. Même lorsqu’ils reçoivent des aliments frais, beaucoup ne savent pas comment les préparer — un constat partagé par la chercheuse Jennifer Massa (Harvard T.H. Chan School of Public Health).
Les programmes de « médecine culinaire » répondent à ce besoin. En intégrant l’alimentation dans le parcours de soins, ces initiatives proposent des ateliers de cuisine, des distributions de denrées accompagnées de recettes, et un accompagnement éducatif permettant aux participants de retrouver leur autonomie culinaire. Une étude récente a démontré que la participation à 16 semaines de cours de cuisine intensifs permettait de renforcer l’engagement nutritionnel des participants, avec un taux d’assiduité proche de 100 %.
Un rôle clé pour les professionnel·le·s de santé
En tant que professionnel·le·s de santé, vous avez un rôle déterminant à jouer pour :
- Revaloriser l’acte de cuisiner comme geste de santé publique
- Encourager l’ajout de sources alimentaires de fibres, vitamines, et minéraux
- Travailler en réseau avec des acteurs locaux (cuisines communautaires, associations, diététicien·ne·s)
- Soutenir les approches d’éducation culinaire dans les structures de soins
Conclusion
À l’heure des innovations technologiques, des applications nutritionnelles et des traitements pharmacologiques contre l’obésité, il est essentiel de ne pas oublier l’impact fondamental d’une alimentation simple, accessible, et fondée sur des aliments entiers. Encourager les patients à ajouter des aliments bénéfiques, plutôt qu’à restreindre leur alimentation, constitue une approche pragmatique, scientifiquement fondée, et potentiellement transformative.
Ce changement de perspective pourrait bien être l’un des leviers majeurs pour rapprocher la population des objectifs de santé publique.
Source :
J. Massa et al. Amélioration des compétences culinaires, des comportements liés au mode de vie et des résultats cliniques chez les adultes à risque de maladies cardiométaboliques : protocole d’un essai randomisé multisite en cuisine pédagogique (TK-MT). Nutrients, 16 janvier 2025. doi : 10.3390/nu17020314.