Une étude récente menée par l’Earth-Life Science Institute (ELSI) de l’Institut des Sciences de Tokyo bouleverse notre compréhension de l’origine de la vie sur Terre. Cette recherche met en lumière un acteur souvent négligé : le calcium. Bien connu des professionnels de la santé pour son rôle clé dans la santé osseuse, la neurotransmission et la contraction musculaire, le calcium aurait également influencé… la toute première chimie de la vie.
Chiralité moléculaire : un mystère fondamental de la biologie
La vie, dans sa forme actuelle, repose sur une étrange préférence : la chiralité. Les molécules biologiques existent en deux formes miroir – gauche et droite – mais la biologie terrestre a choisi un camp. L’ADN utilise des sucres droitiers. Les protéines, elles, sont composées d’acides aminés gauchers. Ce phénomène, appelé homochiralité, est universel… et inexpliqué depuis des décennies.
Le calcium, chef d’orchestre de la sélection moléculaire ?
L’équipe de chercheurs a étudié l’acide tartrique (AT), une petite molécule chirale simple, en présence et en absence de calcium. Résultat ? Le calcium change complètement la donne :
- Sans calcium : les polymères se forment facilement à partir d’AT pur (tout gauche ou tout droit), mais pas à partir de mélanges racémiques.
- Avec calcium : c’est l’inverse. Les polymères issus d’AT pur sont ralentis, tandis que les mélanges racémiques commencent à former des polymères.
Cette bascule pourrait expliquer comment, dans certaines conditions environnementales, l’homochiralité a émergé. Le calcium semble jouer un double rôle : filtrage sélectif via la formation de cristaux de tartrate de calcium, et modulation chimique des réactions de polymérisation.
Une implication clinique et scientifique inattendue
Pourquoi cette recherche concerne-t-elle les professionnels de la santé ? Parce qu’elle renforce un lien fondamental entre la biogénèse moléculaire et la biologie moderne. La chiralité est cruciale en pharmacologie : deux énantiomères d’un même médicament peuvent avoir des effets radicalement différents (voir la tragédie de la thalidomide).
De plus, cette étude ouvre la porte à une réflexion plus large : et si les premières molécules de la vie n’étaient pas les acides aminés ou les bases nucléiques, mais des polyesters primitifs, comme ceux issus de l’acide tartrique ? Cela bouleverse notre compréhension de la chimie prébiotique et oriente les recherches vers de nouveaux biomatériaux.
Des environnements, des contextes… des possibilités multiples
Le degré de calcium dans les environnements terrestres précoces aurait influencé le type de polymères formés. Des zones pauvres en calcium – lagunes, mares peu profondes – auraient favorisé les polymères homochiraux. Inversement, des milieux riches en calcium auraient donné lieu à des mélanges.
Enfin, cette recherche rappelle que les origines de la vie ne sont pas seulement une affaire de molécules : elles relèvent aussi de contextes géochimiques, biophysiques, et même planétaires. Ce type d’approche interdisciplinaire, réunissant chimistes, géologues et biologistes, est fondamental pour mieux comprendre nos propres bases biologiques – et potentiellement, celles d’autres formes de vie ailleurs dans l’univers.
Conclusion
Pour les professionnels de la santé, cette étude constitue un rappel puissant : les fondations de la biologie humaine ne sont pas immuables, mais le fruit de circonstances physiques et chimiques complexes. Le calcium, élément si familier en médecine, pourrait bien être un acteur central du tout premier acte de la vie. Une raison de plus de ne pas sous-estimer les minéraux… même les plus banals.
Source :
« Formation primitive de polyesters homochiraux induite par l’acide tartrique et la disponibilité du calcium »
par Chen Chen, Ruiqin Yi, Motoko Igisu, Rehana Afrin, Mahendran Sithamparam, Kuhan Chandru, Yuichiro Ueno, Linhao Sun, Tommaso Laurenzi, Ivano Eberini, Tommaso P. Fraccia, Anna Wang, H. James Cleaves et Tony Z. Jia, 21 mars 2025, Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS).
DOI : 10.1073/pnas.2419554122